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  • Photo du rédacteurVéronique Mc Nealis

Analyse Filmique | La femme fatale

Dernière mise à jour : 27 nov. 2021

La Femme Fatale : une vilaine ou une victime ?


Gilda (1946) - Gilda

Bien qu’elle préexistât sous les formes de sorcières, vampires et sirènes en littérature, en peinture et dans la Bible, la femme fatale en tant que trope a fait ses premières apparitions sur les paysages cinématographiques autour des années 1940-1950, soit directement après la Première Guerre mondiale et pendant la Seconde. Le contexte de production et de diffusion dans lequel elle s’inscrit est aussi lié à une période d’émancipation des femmes aux États-Unis et internationalement. En effet, à cette époque, la Première Guerre et la Seconde ont permis aux femmes de faire leur entrée sur le marché du travail, puisque la circonscription obligatoire avait fait partir plusieurs de leurs maris, et cela leur aurait permis de développer une plus grande autonomie financière et une indépendance en général dans leur vie quotidienne. Or, une fois la guerre achevée, quand les hommes de la classe ouvrière étaient rentrés à la maison, ceux-ci ne savaient plus quel était leur rôle genré dans la société, puisque les femmes avaient démontré être capables de les remplacer dans toutes les sphères ouvrières de cette même société et pouvoir se passer d’eux pendant de longues périodes. Les analystes et critiques féministes du cinéma ont interprété la femme fatale au cinéma comme une représentation des anxiétés des hommes vis-à-vis de l’émancipation des femmes et de ce que cela impliquerait pour l’identité masculine, elle aussi étant amenée à interagir avec l’identité féminine dans un système binaire. Cela expliquerait pourquoi la femme fatale se voit souvent punie par l’emprisonnement, la mort ou encore guérie de ses péchés dans les situations finales des films dans lesquels celle-ci apparaît (The Take, 2020). À vrai dire, il y a une ambiguïté très forte concernant les vertus de la femme fatale : l’on se demande si la femme fatale est vraiment une « mauvaise fille », une vilaine sorcière, ou si plutôt elle est victime de sa représentation patriarcale, de ses expériences post-traumatiques et de sa rébellion ? La femme fatale de dessin animé Jessica Rabbit dans Who Framed Roger Rabbit (1988) déclarait qu’elle n’était pas méchante, qu’elle était juste dessinée de cette façon, pour signifier justement que c’est à travers le regard masculin, celui qui crée le dessin, qu’elle est vilipendée. Dans le même ordre d’idée, ma thèse est que la femme fatale est principalement la victime d’une représentation mensongère des femmes, découlant du regard masculin, qui veulent renverser les systèmes de classe hétérosexistes. Mon antithèse est que la femme fatale instrumentalise sa position de victime pour se venger de ses oppresseurs, et conséquemment elle fait du mal aux autres. Ma synthèse est que la femme fatale est autant victime que vilaine, puisque qu’elle représente des individus traumatisés qui ont perdu leurs repères moraux tout comme son alter-ego masculin, le anti-héros. Dans le but de bien contextualiser le trope, je vais commencer par définir les caractéristiques du stéréotype cinématographique et ensuite enchaîner avec la thèse, l’antithèse et la synthèse.


Caractérisation de la femme fatale


A Simple Favor (2018) - Emily
A Simple Favor (2018) - Emily


Dans sa monographie sur la femme fatale contemporaine, Katherine Farrimond dénote que la femme fatale est l’un des personnages filmiques qui a le plus durés dans l’histoire du cinéma, depuis l’avènement de celui-ci (Farrimond, 2017). Malgré sa durabilité, le trope est toujours accompagné d’une ambiguïté persistante et irrésolue qui ne fait pas consensus chez tous les spectateur.e.s et les critiques de film en ce qui a trait aux vertus du personnage. Elle serait située en effet entre le héros et le méchant. À l’image de son égal masculin dans le film noir des années 1940-50, elle serait la version féminine du antihéros, un sujet pris entre le bien et le mal. Il est quand même utile de voir comment les médias, les critiques et les spectateur.e.s définissent la femme fatale à travers les stéréotypes qui constituent le trope : le femme fatale est belle, indépendante, forte, séduisante, puissante, violente, intelligente, manipulatrice, ambitieuse, dangereuse, cynique et meurtrière (The Take, 2020). Qui plus est, elle n’est généralement pas intéressée par la maternité, mais davantage par des occupations traditionnellement masculines. C’est en quelque sorte la « putain », soit la femme que le protagoniste masculin désire sexuellement, mais ne veut pas marier, parce qu’elle menace l’autorité masculine en s’appropriant ses armes (la violence, la sexualité, l’argent, etc.). Selon Virginia Allen, la femme fatale est une femme qui attire les hommes vers le danger, la destruction et la mort par les moyens de ses charmes superpuissants (Hales, 2007). Or, dans des contextes contemporains et homoérotiques, la femme fatale, souvent bisexuelle, s’en prend autant à des protagonistes masculins que féminins. Par exemple, Jennifer Check dans Jennifer’s body (2009), Alex Vause dans Orange is the new black (2013-2019), Emily dans A simple favor (2018). En outre, le trope est à l’opposé de celui de l’ingénue, un autre stéréotype féminin persistant au cinéma, c’est-à-dire la « femme à marier », celle qui incarne toutes les vertus désirées par un protagoniste masculin dans une société hétérosexiste. D’ailleurs, il existe plusieurs exemples contemporains de confrontation entre l’ingénue et la femme fatale au cinéma : Buffy contre Faith dans la saison trois de la série Buffy the Vampire Slayer (1997-2003), Annette contre Kathryn dans le film Cruel Intentions (1999) et Needy contre Jennifer dans le film Jennifer’s body, entre autres. Je reviendrai sur certains de ces exemples au cours de mon analyse.


Thèse : La femme fatale en tant que victime


Cruel Intentions (1999) - Kathryn Merteuil

À première vue, on peut envisager la femme fatale comme étant doublement victime, c’est-à-dire victime à deux niveaux de représentation : elle est d’abord victime de la représentation extradiégétique mensongère des femmes de son époque à plusieurs égards, plus souvent lorsqu’elle se trouve dans un film réalisé par un homme cisgenre. Puis, elle est aussi victime en tant que personnage dans le récit intra-diégétique d’être vilipendée par les protagonistes masculins et parfois même féminins (davantage dans les films contemporains) parce qu’elle ne se conforme pas aux attentes de la féminité dans un système hétéro-patriarcal. Dans un premier temps, en ce qui a trait d’abord à sa victimisation initiale, la femme fatale est victime du regard masculin hétérosexuel tel que conceptualisé par Laura Mulvey. Pour reprendre les mots du personnage de Jessica Rabbit, « je ne suis pas mauvaise, je suis seulement dessinée de cette façon », la femme fatale n’est pas mauvaise en soi, elle est plus souvent qu’autrement rendue mauvaise à travers le regard masculin hétérosexuel des cinéastes qui la construit. En effet, dans le film noir classique, elle est représentée comme un objet de désir pour un protagoniste masculin, car elle se conforme la plupart du temps aux standards de beauté de son époque. Cela dit, c’est plutôt parce qu’elle ne se conforme pas aux attentes patriarcales de la féminité de son époque qu’elle est perçue comme une antagoniste. Historiquement, les femmes dans le cinéma classique hollywoodien des années 1930 étaient des personnages passifs, des femmes au foyer ou des femmes qui attendaient la venue d’un héros pour les sauver. Les femmes étaient objectivées et n’existaient qu’en relation aux protagonistes masculins dans le récit, soit en étant des mères, des épouses ou des filles des protagonistes masculins, ce qu’on nomme aussi le syndrome de la Schtroumpfette. Or, le rôle de la femme en société s’est redéfini entre autres grâce aux guerres mondiales et cela aurait engendré une crise de l’identité masculine. D’après Barbara Hales, les cinéastes masculins traumatisés par la guerre auraient projeté leur trauma lié à celle-ci à l’écran en faisant des hommes et des femmes des criminel.le.s à travers les personnages des antihéros. Par le fait même, ces cinéastes auraient aussi projeté leurs craintes liées au féminisme et à l’émasculation en présentant le féminisme comme quelque chose de dangereux à travers le personnage de la femme fatale. Même son nom, la femme fatale suggère sa dangerosité et sa léthalité. En raison des anxiétés masculines liées au féminisme, les films noirs et néo-noirs présentent la femme forte comme une menace pour l’identité masculine, puisque cette dernière entraînerait la destruction de l’identité masculine. Ainsi, la femme fatale est victime des anxiétés des hommes par rapport à l’émancipation féminine ainsi que par rapport aux renversements des jeux de pouvoir plaçant les hommes au sommet de la hiérarchie. À son origine cinématographique, elle est aussi victime des enjeux liés à la production et la censure engendrée par le code de production Hays. Dans les faits, le code Hays des années 1930 jusqu’aux années 1955 s’opposait à la diffusion publique de crimes, de péchés et de tout ce qui s’opposait aux valeurs dominantes de la société américaine. Si ces éléments étaient présents dans le film, ceux-ci devaient être punis dans le cinéma de genre hollywoodien. En raison de la sacralisation du mariage de l’époque, la promiscuité sexuelle et l’adultère étaient également proscrits selon le code Hays. Cela explique entre autres pourquoi la femme fatale était fréquemment punie par le meurtre ou l’emprisonnement dans les situations finales des films de cette époque, et souvent encore aujourd’hui. En somme, la femme fatale est victime d’être vilipendée par le regard masculin de son époque, un regard qui commande les comportements normaux chez une femme respectable ainsi que les comportements à proscrire des femmes dites fatales.

Dans un deuxième temps, la femme fatale est aussi victime d’oppression dans le récit des films où elle apparaît de la part des autres protagonistes masculins. Elle est poussée par ceux-ci à l’anéantissement, surtout vers la fin du film, qui se conclut la plupart du temps par son extinction. Au contraire, dans le film culte d’horreur Jennifer’s body, la femme fatale Jennifer Check est plutôt anéantie dès la situation initiale du film lorsque celle-ci est sacrifiée par un groupe de musique indépendant composé uniquement de garçons. Effectivement, dans cette séquence, celle-ci est amenée par la contrainte à suivre les jeunes hommes dans une fourgonnette pour rentrer chez elle, tandis que le bar dans lequel elle s’amusait avec sa meilleure amie prenait en feu. Alors qu’elle est assise dans la fourgonnette, Jennifer commence à remarquer des livres étranges de sorcellerie traînant par terre et à ce moment-là elle s’inquiète et demande directement aux garçons s’ils sont des violeurs. Ceux-ci ne répondent pas à sa question. Or, plus tard dans le film, on découvre que les hommes ont tenté de tuer Jennifer pour un rituel de sorcellerie qui nécessitait le sacrifice d’une vierge. Toutefois, n’étant pas vierge, la cheerleader avait survécu aux coups de poignard de son assassin, du moins en partie. Par le coup, celle-ci avait hérité de pouvoirs démoniaques qui lui conférèrent des capacités surhumaines. À partir de là, elle avait besoin de manger des garçons, faisant d’elle littéralement une croqueuse d’homme, afin de rester belle et en santé. Pour ma part, comme aux yeux de beaucoup d’analystes de film, je perçois cette renaissance comme une métaphore du stress post-traumatique de l’agression qu’a subie Jennifer et également un fantasme de vengeance pour les victimes d’agressions sexuelles et de violences misogynes. Jennifer, comme tant d’autres femmes fatales, est devenue violente à son tour parce que l’intensité de la violence qu’elle a subie l’a désensibilisée à la souffrance qu’elle cause aux autres et qu’elle vit un stress post-traumatique qui l’a fait déshumaniser les hommes autour d’elle. Elle choisit de manger strictement des garçons parce qu’elle a été attaquée par un groupe composé uniquement de garçons misogynes. À la fin du film, celle-ci est assassinée par sa meilleure amie avant même ceux qui l’ont d’abord tuée et ainsi transformée en démon cannibale.

La victimisation et la revanche sont aussi présentes chez des femmes fatales qui l’ont précédé. Prenons pour exemple la femme-chat dans Batman returns (1992): Selina Kyle. Cette dernière est une secrétaire célibataire qui travaille pour Max Schreck. Au cours de son travail, elle en vient à découvrir le plan diabolique de Schreck de drainer toute l’énergie de la ville Gotham pour prendre le monopole de la ville avec sa centrale électrique. Lorsque Selina rentre au bureau tard dans la nuit, Schreck la surprend en train de fouiller dans ses documents confidentiels révélant son plan machiavélique et, pour la rendre silencieuse, la pousse par la fenêtre de son bâtiment. Néanmoins, comme c’est le cas pour Jennifer Check, Selina survit à sa chute grâce au secours de chats sur les lieux et elle aussi acquiert des capacités surhumaines dans le film. À partir de là, la femme-chat est née et c’est une femme en colère contre les injustices, dont elle-même a été victime. Elle essaie particulièrement de se venger de la tentative de meurtre de Schreck en sabotant ses entreprises et dans la situation finale du film en l’électrocutant vivant.


Par ailleurs, on n’est pas sûr que Kathryn Merteuil dans Cruel Intentions soit si vilaine qu’elle ne peut le paraître. Du moins, elle semble être victime des préjugés vis-à-vis des femmes quant à leur sexualité. Dans une scène éloquente, on apprend en tant que cinéspectateur.e.s que Kathryn se sent obligée de masquer sa confiance en elle-même et ses désirs sexuels pour être considérée comme une madame digne de respect dans la haute société. Si les gens apprenaient qu’elle couche avec n’importe qui comme son demi-frère Sebastian, elle risquerait, contrairement à lui, l’ostracisation sociale dans cette société de classe bourgeoise. Il s’agit là d’un discours du personnage dénonçant la putophobie dont les femmes sexuellement actives et confiantes peuvent être victimes. On peut interpréter la jalousie de Kathryn envers les privilèges masculins de Sebastian comme son motif de manipulation et de vengeance envers lui. Kathryn est victime des préjugés sexistes selon lesquels les femmes sont nécessairement prudes sexuellement comme Annette, sont naturellement plus douces, bienveillantes et naïves que les hommes. Kathryn démantèle en brèche tous ces stéréotypes en montrant plutôt que les femmes peuvent être cruelles, égocentriques, manipulatrices et vulgaires autant que les hommes. Cela étant dit, si le défunt Sebastian est pardonné de ses victimes à la fin du film, Kathryn quant à elle vit l’humiliation publique et possiblement l’exclusion sociale quand son entourage découvre ses schèmes à travers le journal de Sebastian. Pourtant, Kathryn n’a pas forcé Sebastian à commettre les méfaits, comme le mensonge, la manipulation, le viol, qu’il a commis dans le récit. À vrai dire, il a consenti au pari tout autant qu’elle. C’est comme si à travers son journal il essayait de blâmer Kathryn pour ses propres actions. Alors que le personnage est pardonné par la vertueuse Annette, Kathryn est victime du double standard envers les femmes lorsque celles-ci ne possèdent pas les vertus escomptées chez une femme digne de respect et d’amour en société.


En bref, ces exemples servent à démontrer que la femme fatale est bel et bien victimisée de plusieurs manières différentes par les protagonistes masculins dans les récits filmiques dans lesquels elle apparaît. Tantôt juste parce que c’est une femme et qu’en plus elle n’est pas vierge dans Jennifer’s Body, tantôt parce qu’elle est trop intelligente, elle en sait trop dans Batman Returns, et puis tantôt parce qu’elle est trop méchante, pourtant aussi méchante que son complice masculin dans Cruel Intentions. La plupart des apparitions filmiques de la femme fatale s’accompagnent d’une victimisation contre laquelle elle se rebelle, et c’est sa rébellion contre sa victimisation passive qui lui rendrait son caractère fatal d’un point de vue anti-féministe.


Antithèse: La femme fatale en tant que vilaine


Jennifer's body (2009) - Jennifer Check

La femme fatale est humaine autant que le anti-héros des films noirs, néo-noirs, de suspense, de science-fiction et d’horreur dans lesquels ses personnages se retrouvent. Ainsi, elle n’est pas un modèle héroïque à imiter pour le publique, à la différence de Wonder Woman, elle fait des choix et des actions reprochables et redoutables sur le plan moral. Plus souvent qu’autrement, elle instrumentalise sa position de victime pour commettre des actes immoraux. Cynique et en colère, c’est une femme assoiffée de pouvoir et/ou de vengeance. Ses deux plus grands méfaits, ceux pour lesquels elle est vilipendée, sont le mensonge et le meurtre.


Afin de démontrer son statut de vilaine, reprenons dans le même ordre les exemples de film qui ont été utilisés précédemment pour démontrer son statut de victime. D’abord, dans Jennifer’s body, visiblement Jennifer cherche à se venger des hommes en tant que groupe en raison de la violence à caractère misogyne qu’elle a subie. Ayant développé un appétit de vengeance incontrôlable et étant forcée de se nourrir de chair humaine, elle s’en prend par la suite toujours à des hommes dans le film à travers ses attaques cannibales. Or, sa meilleure amie, Needy, vit aussi un stress post-traumatique en lien avec les morts causées par l’incendie spontané ayant eu lieu pendant leur sortie anodine entre amies. À la suite des événements bouleversants, la protagoniste Needy s’inquiète des morts de plus en plus nombreuses dans le village de Devil’s Kettle et de l’indifférence de Jennifer par rapport aux meurtres sanguinaires. Après tout, Needy l’a aperçu pleine de sang et affichant des traits paranormaux le soir même de sa métamorphose en démon succube assoiffé de chair humaine. Dans une scène homoérotique entre les adolescentes, Jennifer révèle à Needy ce qui s’est réellement produit après que le groupe de rock indépendant l’avait embarqué dans leur fourgonnette. Toutefois, elle ment à Needy en essayant de la persuader que ce qu’elle a aperçu la nuit de l’incendie n’était que des hallucinations et elle tente de la convaincre qu’elle ne remplit pas sa faim en mangeant des garçons. Or, on sait en tant que ciné-spectateur.e.s au contraire qu’elle est responsable de tous les nouveaux meurtres depuis l’incendie dans le village de Devil’s Kettle. Par conséquent, la narration du récit montre que Jennifer est vraiment rendue démoniaque depuis l’agression dont elle a été victime et le film d’horreur met ainsi en exergue le stéréotype de la femme fatale comme étant une femme vilaine, soit une femme menteuse et meurtrière.


Pour ce qui est de Batman Returns, l’assouvissement du désir de vengeance envers Shreck de Selina Kyle passe par l’instrumentalisation des autres. Autant dans la bande dessinée que dans le film, la femme-chat ne recule devant rien pour accomplir ses objectifs, même si cela implique de faire du mal aux autres. Par exemple, dans le film de Tim Burton, elle fait exploser le bâtiment de Shreck sans se soucier de savoir s’il y a des personnes vivantes à l’intérieur ou aux alentours, négligeant ainsi la possibilité de causer des morts ou des blessés. Par sa vision cynique du monde, elle justifie ses actes malveillants en déclarant : « la vie est une garce et maintenant moi aussi » (Nasr, 2021). Plus tard dans le récit, elle devient complice du principal antagoniste, le Pingouin, pour se venger de Batman. Elle prend donc en otage une femme innocente pour accomplir le plan machiavélique de ternir l’image de Batman en faisant croire qu’il a voulu assassiner cette victime en la poussant du haut d’un bâtiment. Elle se retrouve ainsi complice d’un meurtre. Puis, finalement, elle assouvit son désir de vengeance en assassinant au moyen d’un pistolet paralysant son ennemi juré Max Shreck dans la situation finale du film. À la lumière de ces exemples, on constate que la femme-chat a certes un côté vilain pleinement assumé. D’après ses propres paroles, c’est une garce !


Enfin, Kathryn Merteuil dans Cruel Intentions est un exemple contemporain de femme fatale qui ne possède pas de capacité surnaturelle. Par ailleurs, cette dernière est davantage violente psychologiquement que physiquement contrairement aux deux exemples précédents. Or, ce qui les rassemble toutes ensembles sont leurs désirs de vengeance, de pouvoir et de contrôle sur le monde qui les entoure. La vengeance de Kathryn semble être dirigée envers une de ses ex-fréquentations. Pour accomplir sa revanche, elle fait un pari avec Sebastian selon lequel elle couchera avec lui s’il réussit à dépuceler Annette. Elle se sert également de lui pour faire du mal à son ex. Néanmoins, l’objectif précis encouru par Kathryn à travers le pari qu’elle a établi avec Sebastian au début du film demeure ambigu jusque vers la fin du film. Après que Kathryn ait eu menacé de ruiner la réputation de Sebastian auprès d’Annette s’il ne rompait pas avec elle, Sebastian décide de rompre avec Annette tout juste après leur première relation sexuelle. Lorsqu’il annonce la nouvelle à Kathryn et tente de réclamer son dû selon leur pari, celle-ci se moque de lui et révèle que son triomphe est sur lui plutôt que sur Annette. Selon ses propres dires, elle ne couche pas avec des perdants. De cette façon, on comprend que le pari n’était qu’un leurre servant à manipuler Sebastian vers son autodestruction et que sa demi-sœur cherchait vengeance surtout sur lui plutôt que sur son ex. Par ailleurs, Kathryn est coupable de bien d’autres mensonges dans le récit et elle montre par son sourire narquois systématique qu’elle se délecte du malheur des autres. Parmi ses nombreux méfaits, elle est complice de l’agression sexuelle commise par Sebastian envers Cécile et elle est également responsable de manipulation psychologique envers tout le monde autour d’elle. À travers le récit, elle est caractérisée comme une sociopathe destructrice, et ainsi donc maintient la mauvaise réputation de la femme fatale en tant que vilaine.


Synthèse : La femme fatale n’est ni victime ni vilaine, elle est humaine


Batman Returns (1992) - Selina Kyle

L’ambiguïté sur le statut de victime ou le statut d’antagoniste du personnage de la femme fatale persiste encore aujourd’hui, puisque celle-ci est volontaire. À l’origine, elle représente les incertitudes d’une humanité traumatisée par la guerre qui a perdu ses repères moraux et qui ne sait ainsi plus bien faire la distinction entre le bien et le mal. À cet effet, il y a autant d’éléments diégétiques prouvant qu’elle est victime dans son histoire que d’éléments qui peuvent au contraire prouver qu’elle est une antagoniste dans cette même histoire, au même titre que le antihéros. En premier lieu, on peut conclure que la femme fatale est davantage victimisée qu’antagonisée restant fidèle à l’exemple précédant du film Jennifer’s Body. Dans Jennifer’s Body, les meurtres commis par Jennifer sont une conséquence directe du sacrifice humain qu’on lui a infligé. En effet, c’est à cause de ce rituel violent qu’elle est forcée par la suite de se nourrir d’êtres humains, car le rituel satanique l'a transformé en succube contre son gré. Il est même suggéré dans le récit, par des indices intra-diégétiques, que ce sont les membres du groupe qui ont causé volontairement l’incendie dans le but de contraindre Jennifer à embarquer avec eux dans leur fourgonnette. Ainsi, on peut en déduire que le groupe de musique est responsable de tous les meurtres dans le récit et constitue de cette façon le véritable antagoniste dans cette histoire. Plusieurs analystes de film ont interprété le rituel et les événements qui l’ont succédé comme une allégorie représentant le viol à caractère sexuel. La résurrection du personnage de Jennifer en tant que démon croqueuse d’homme serait alors une allégorie pour signifier le stress post-traumatique et ses conséquences monstrueuses pour les victimes. Comme Needy le dit elle-même dans le récit, peut-être que Jennifer n’a pas vraiment survécu à son agression, peut-être qu’une partie d’elle est décédée cette nuit-là. Lorsqu’elle tue le monstre qu’est devenue Jennifer, Needy ne semble pas être guérie de son propre stress post-traumatique lié à l’incendie et au meurtre de son amoureux. Au contraire, une partie des pouvoirs de Jennifer lui sont alors transmis et elle décide à la toute fin du film de se venger elle-même, sa meilleure amie et son amoureux en poignardant ses véritables antagonistes, soit les musiciens meurtriers. Ainsi, on est amené à comprendre en tant que cinéspectateur.e.s que Jennifer et Needy sont toutes les deux victimes d’une violence misogyne, plutôt que les véritables antagonistes de leur récit.


D’autre part, on peut aussi conclure que la femme fatale est davantage une antagoniste, d’un point de vue féministe et pacifiste, qu’une victime des mentalités patriarcales. Le trope de la femme fatale tend à justifier les actes de cruauté et de méchanceté du personnage parce qu’il veut être traité comme l’égal des hommes dans le récit en s’appropriant les outils qui maintiennent la domination masculine, soit la force brute, la violence, le contrôle et la manipulation. Le trope renvoie à cette idée que les femmes devraient se comporter comme la masculinité toxique le suggère pour être traitées également aux hommes, plutôt que de gérer leurs émotions et leurs traumatismes de manière plus saine.


Cela est particulièrement vrai dans Jennifer’s Body. Jennifer en vient à se comporter comme ses assassins masculins à la suite de son trauma. Elle aussi est complètement désensibilisée vis-à-vis de ses victimes. Si les membres du groupe affirment détester les filles et qu’ils montrent n’avoir aucune empathie envers celles-ci, Jennifer en est venue pour sa part à objectiver et à déshumaniser les garçons dans le film. Quand Needy la confronte par rapport à ses meurtres, lui rappelant qu’elle tue des individus, Jennifer rétorque que ce ne sont pas des personnes qu’elle tue, mais juste des garçons. Jennifer dénote une haine envers les garçons qui ressemble à l’inverse de la misogynie. Plutôt que de montrer une femme fatale qui désire guérir de son trauma et des comportements violents qui en découlent, le film montre une femme fatale qui se noie dans celui-ci par sa haine et sa soif de vengeance. Elle cause l’anéantissement de tout le monde sur son passage en adoptant des comportements violents liés à la masculinité toxique. De cette manière, elle est antagoniste pour le mouvement féministe, celui-ci prônant l’égalité entre les genres, puisqu’elle représente le mouvement de manière effrayante et dangereuse pour les hommes, alors que le mouvement féministe aurait plutôt intérêt à faire d’eux des alliés. À vrai dire, l’égalité n’est pas synonyme d’une hiérarchie inversée et donc le film ne défend pas des idéologies particulièrement féministes. Il s’agit plutôt d’un fantasme de vengeance de la violence à caractère misogyne et d’une tentative de renverser le regard masculin. Qui plus est, Jennifer est également antagoniste pour le mouvement pacifiste puisqu’elle utilise surtout la violence afin de renverser les jeux de pouvoir entre les hommes et les femmes. Cela dit, dans le film, on voit que cela s’avère inefficace puisque que personne dans le film ne croît qu’un personnage féminin puisse infliger ses violences aussi macabres à des garçons (mise à part Needy) et que les violences ne font ainsi que se perpétuer dans une boucle sans fin. Ainsi, la femme fatale dans Jennifer’s body peut être perçue comme une antagoniste aux mouvements féministes et pacifistes et on pourrait également conclure la même chose des personnages précédemment analysés.


En conclusion, à la lumière des réflexions émises dans cette analyse sur la femme fatale, on peut déduire que le personnage est humanisé, plutôt que complètement victimisé ou complètement vilipendé. Dans une perspective réaliste, le personnage est à la fois victime et antagoniste dans son récit montrant qu’on peut être les deux au cours d’une vie. La femme fatale montre qu’il est difficile pour les femmes d’être complètement elles-mêmes en société, puisqu’il y a des attentes irréalistes envers les femmes concernant leurs soi-disant vertus féminines. Les femmes sont après tout des êtres humains aux identités fluctuantes. La femme fatale est à la fois victime du regard masculin extradiégétique et intra-diégétique. Elle est victime d’être vilipendée dans sa lutte pour son émancipation et est victime d’actes de violence patriarcale. Elle est vilaine, parce qu’elle reproduit la violence qu’elle subit sur les autres et commet des actes de vengeance barbares. C’est un personnage en constante dualité entre le bien et le mal qui apporte une touche de gris, de nuance dans les films où elle apparaît à l’écran au même titre que son alter-ego masculin le antihéros.



Références

NASR, Constantine. 2021. DC Villains - Catwoman | The Feline Femme Fatale. Warner Bros entertainment https://www.youtube.com/watch?v=O0Gzs_WS-tw


FARRIMOND, Katherine. 2017. The Contemporary Femme Fatale: Gender, Genre and American Cinema. New York: Routledge


HALES, Barbara. 2007. The Femme fatale in Weimar and Hollywood film noir. Nebraska: University of Nebraska Press


HANSON, Helen et Catherine O’RAWE. 2010. The femme fatale: images, histories, contexts. New York: Pallgrave Macmillan


THE TAKE. 2020. The femme fatale trope, Explained. The Take https://www.youtube.com/watch?v=XjAKd-Lfmt0



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